Cher collègue,
L’article que vous avez publié dans le journal Le Monde du 22.02.12 soulève certaines questions, que j’ai indiquées dans votre texte ci-dessous. Je vous serais très reconnaissant si vous acceptiez d’y répondre.
Nous sommes nombreux à nous poser ces questions, et une clarification de votre part serait la bienvenue.
Bien cordialement,
Nicolas Gauvrit
Université d’Artois & Université Paris VII
Qu’appelez-vous « psychothérapie institutionnelle » ? En quoi est-elle différente de la psychanalyse, ou d’une méthode fondée sur la psychanalyse ?C'est l'humanité même de la psychiatrie qui est condamnée.
Ceux qui utilisent des thérapies alternatives à la psychanalyse pratiquent-ils selon vous une méthode inhumaine ?La pratique du " packing ", longtemps utilisée dans le traitement des psychoses de l'adulte, repose sur l'enveloppement humide qui permet au patient souffrant d'un morcellement du corps propre de retrouver de l'intérieur son enveloppe corporelle.
Quelles données factuelles vous permettent d’affirmer que l’adulte psychotique souffre d’une « (angoisse de) morcellement du corps » ?
Quelles données vous permettent alors – s’il y a bien « morcellement du corps » – d’affirmer qu’un linge humide remédie à ce « morcellement » ?Est-ce bien cette pratique qui suscite les cris de haine de la part des associations de parents d'enfants autistes ? Les témoignages de ceux qui en auraient été les bénéficiaires ne seront même pas entendus.
Parlez-vous ici du packing pour les adultes consentants, ou pour des enfants autistes incapables d’exprimer clairement leur éventuel désaccord ? C’est je crois contre le packing appliqué aux enfants autistes que les associations militent.Le pédopsychiatre Pierre Delion, dont on ne dira jamais assez la gentillesse et l'esprit d'ouverture, est la victime d'une véritable persécution ; cette campagne de haine n'a cessé de gonfler jusqu'à sa convocation devant le Conseil de l'ordre. Cette douloureuse affaire ne fait qu'augmenter le niveau d'angoisse où nous jette déjà une crise sociale et morale alimentée de toutes parts : si le scientisme gagne à l'aide d'arguments et de pressions non scientifiques, alors le désert croît. Si la psychiatrie n'est plus dans l'homme, on assistera à des pratiques de contention et de répression que l'on signale déjà ici ou là.
J’ai l’impression que ce paragraphe est une erreur de votre part. En quoi l’amabilité et l’extrême bonté de Pierre Delion justifient-elles qu’on applique une méthode à des enfants autistes sans vérifier son efficacité ? Aucune association à ma connaissance n’accuse Pierre Delion d’être « méchant ».
Le fait que vous soyez très angoissés nous ennuie évidemment beaucoup, mais je pense que les associations de parents d’enfants autistes préfèrent toutefois créer une regrettable anxiété chez les praticiens plutôt que de renoncer à faire appliquer ce qu’il y a de mieux pour leurs enfants.
Quant à la fin de votre paragraphe, je peux écrire exactement la même chose en parlant des méthodes cognitives. Elle n’est qu’une profession de foi. Ma question est donc la suivante : ai-je raison de penser que vous avez écrit ce paragraphe sous le coup de la passion, ou du moins qu’il ne contient aucun argument logique pour la défense de la psychanalyse ?La désolation caractéristique du vécu de la psychose est aussi une expérience qui nous guette tous : en allemand, la désolation (Verwüstung) se souvient du désert (Wüste) qu'elle traverse. Aujourd'hui, si on ne pense pas en même temps la psychiatrie et la culture, on accroît la désertification. Ce qui est inédit dans cette affaire, c'est que, pour la première fois, on voit qu'un procès fait à la psychanalyse, discipline qui ne s'est jamais dérobée à la critique, débouche non pas sur une controverse scientifique argumentée mais sur une interdiction disciplinaire réclamée par des lobbies.
Puisque vous prônez, ce que j’apprécie grandement, une discussion qui se place sur le plan purement scientifique, pourriez-vous répondre de manière scientifique aux études qui montrent une supériorité des méthodes éducatives sur les méthodes psychanalytiques dans le traitement de l’autisme ?Encore une fois, on peut contester la prétention de la psychanalyse à la scientificité, comme l'ont fait au siècle dernier les arguments de Karl Popper, ceux de Georges Politzer ou, plus près de nous, ceux de Gilles Deleuze. Il faut insister là-dessus : la psychanalyse, discipline libérale, ne s'autorisant que d'elle-même, selon les termes de Lacan, indépendante du discours universitaire mais mobilisant toutes les ressources de la science et de la culture, n'a jamais prétendu se dérober au débat scientifique. Cette pression de l'opinion intéressée et pleine de ressentiment est une insulte à la liberté de penser et une menace pour les autres disciplines de la science et de la culture.
Ce paragraphe paraît en contradiction avec l’appel à la science que vous venez de faire. Comment pouvez-vous demander un débat scientifique et exiger en même temps le droit de déroger à sa méthode en « vous réclamant de vous-mêmes ». Dans un débat scientifique, personne ne peut répondre à un argument « je ne me réclame que de moi-même », tout le monde se réclame de la science. Comment résolvez-vous ce paradoxe ?A côté des vociférations d'aujourd'hui, la première vague de l'antipsychiatrie des années 1970, qui charriait beaucoup de préjugés et d'analyses sommaires, n'avait pourtant pas la même tonalité de haine et de bêtise. Or, cette haine risque de parvenir à ses fins.
Voulez-vous dire que les mêmes personnes, ou les mêmes idées, étaient à l’œuvre dans les années 1970 et aujourd’hui ? Si oui, sur quels faits vous basez-vous. Sinon, en quoi votre analogie est-elle pertinente ?Certes, elle est nourrie de la souffrance de parents d'enfants autistes qui ont le sentiment d'avoir été culpabilisés par des discours peu nuancés. Menée à son paroxysme, la haine vise à soustraire l'enfant souffrant à une pratique qui vise pourtant à le soulager.
Nous sommes bien d’accord : la pratique vise à soulager l’enfant. Mais la question que se posent les parents n’est pas de savoir si les psychanalystes ont de bonnes intentions, mais si ce qu’ils font est bien pour leur enfant. Avez-vous des preuves scientifiques que la psychanalyse fournit de meilleures résultats que les autres méthodes ?L'autiste n'est pas un malade, dit la nouvelle antipsychiatrie. La maladie mentale n'existe pas, disait la première antipsychiatrie. De telles affirmations massives résonnent comme un déni de la souffrance et plus encore de l'humanité qui est ou devrait être au coeur de la clinique, si toutefois le mot même de clinique a encore un sens pour les censeurs.
Pourriez-vous donner la référence de cette citation ?
Peut-être voulez-vous ici dénoncer le fait que l’autisme est aujourd’hui plus souvent appelé « trouble » que « maladie » ? Si tel est le cas, en quoi ce changement de nom pose-t-il problème ?Mais les arguments ont entraîné, cette fois-ci, un recours à l'appareil judiciaire et à un traitement disciplinaire là où un débat argumenté et scientifique fait défaut. Il convient donc d'informer : il existe des lieux de soin, des praticiens, qui résistent à cette dérive. Ils y résistent d'autant mieux qu'ils savent dénouer l'intrigue du scientisme et du judiciaire bâtie autour de l'autisme, mais dépassant de loin la seule question de l'autisme.
Pourriez-vous expliquer ce que vous appelez le « scientisme » ici ? Voulez-vous dire que la psychanalyse n’a pas à se soumettre à l’évaluation scientifique parce qu’elle est trop « humaine » ? Si tel est le cas, quel débat scientifique imaginez-vous entre une psychanalyse qui n’a aucune preuve à fournir, et l’approche scientifique de la psychologie ?Il est urgent d'avoir recours à une défense et illustration d'une psychiatrie née pendant et après la guerre qui visait à supprimer l'enfermement asilaire : soigner l'hôpital avant de soigner les malades, selon la formule du psychiatre allemand Hermann Simon, reprise par François Tosquelles.
Quel rapport faites-vous entre l’enfermement asilaire et les méthodes promues par les associations de parents d’enfants autistes et les scientifiques ?Quand l'hôpital va mieux, certains troubles disparaissent. La psychothérapie institutionnelle qu'on dénonce aujourd'hui a une histoire à faire valoir.
Considérez-vous le fait d’avoir une longue histoire comme une preuve d’efficacité ?Je me contenterai d'en rappeler quelques principes simples. L'institution doit faire du sur-mesure : ce n'est pas au patient de s'adapter au milieu. Pour cela, le concept analytique de " transfert " est précieux. Le transfert d'un patient, schizophrène ou non, sur l'institution, que Jean Oury appelle " transfert dissocié ", consiste à organiser la " rencontre " entre le patient et d'autres personnes évoluant dans les mêmes lieux : soignants, personnels de service, autres patients. Le mot même de " rencontre " est la clé de cette pratique. Pour qu'il y ait rencontre, il faut qu'il y ait liberté de circuler. Mais davantage encore, il faut que les lieux et les personnes soient assez distincts : distinguer les sujets, distinguer les lieux pour qu'ils deviennent des sites de parole, distinguer les moments contre un temps homogène et vide, distinguer des groupes et des sous-groupes dans un réseau d'activités. En un mot, résister à la tyrannie de l'homogène, face lisse du " monde administré ", selon la formule de Theodor W. Adorno.
Le code de déontologie des psychologues (dont une nouvelle version fut publiée en février) ne prévoit pas d’homogénéité des traitements, et insiste au contraire sur la singularité du sujet (préambule de la dernière version : « La complexité des situations psychologiques s'oppose à l’application automatique de règles. ») Il insiste en revanche pour que le psychologue utilise des méthodes éprouvées (Art. 24 : « Les techniques utilisées par le psychologue à des fins d’évaluation, de diagnostic, d’orientation ou de sélection, doivent avoir été scientifiquement validées et sont actualisées. »)
Vous semblez défendre l’idée que l’approche psychanalytique est moralement supérieure à ce qui est prévu dans ce code de déontologie - qui s'applique aux psychologues en général. Mais, même en supposant que vous ayez raison, en quoi cela est-il un argument thérapeutique ?
(Personnellement, je vous dis tout de go qu’en cas d’appendicite je préfère largement la chirurgie immorale qui ne prend pas bien en compte ma spécificité à un traitement homéopathique moralement irréprochable !)Une telle pratique de soin de l'esprit humain s'est nourrie de l'apport de la psychanalyse, sans exclusive. Mais surtout, hors du débat scientifique dont pourtant on nous prive, il faut dire l'ancrage de ce traitement. " L'homme est en situation dans la psychiatrie comme la psychiatrie est en situation dans l'homme. " Ces mots du philosophe Henri Maldiney ont été illustrés dans des lieux aussi divers que la clinique de Ludwig Binswanger à Zurich, l'hôpital de Saint-Alban (Lozère) pendant la guerre ou, aujourd'hui encore, à la clinique de La Borde (Loir-et-Cher).
En quoi le fait que des philosophes aient dit des mots gentils sur la psychiatrie est-il un argument pour une approche psychanalytique de la psychiatrie ?Va-t-on assécher l'élément humain dans lequel ces institutions baignent ? L'obsession sécuritaire présentant le patient schizophrène comme un danger, jointe au recours à la justice, va-t-elle avoir raison de ces pratiques toujours en recherche ? Nous ne pouvons nous y résoudre. Le désert croît et pourtant rien n'est joué.
Quel rapport précis faites-vous entre l’obsession sécuritaire et les méthodes scientifiques de la psychothérapie ?
Pourquoi parlez-vous ici de schizophrénie alors que le thème de votre article est l’autisme ?
Vous dénoncez le recours à la justice. Condamnez-vous également le recours à la justice contre le film Le Mur, qui a récemment été censuré ?